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"De derrière les fagots" - Chronique des disques oubliés

par Philippe Houbert  - Janvier 2013

& 

Un Jean-Marie Leclair à redécouvrir



Pour cette première chronique de 2013, c’est l’écoute d’un récent concert donné lors du très intéressant Festival Paris Baroque qui m’a fourni l’idée d’aller jeter un œil dans ma discothèque consacrée à Jean-Marie Leclair. Parmi mes quelques disques, j’ai retrouvé avec grand plaisir la série que le label britannique Chandos avait consacrée au maître du violon français au dix-huitième siècle. Ces disques étaient placés sous la dénomination Collegium Musicum 90 et sous la direction de Simon Standage, ex-premier violon de l’English Concert de Trevor Pinnock, ensemble qui, me semble t-il rétrospectivement, n’a pas reçu en France l’accueil que sa production eût mérité. Parmi ces huit CDs réalisés dans la première moitié des années 90, j’ai choisi celui qui me paraît le plus original en regard de ce l’on a l’habitude d’entendre au sein de la production de Leclair. Ni concertos ni sonates des quatre livres, mais un disque consacré à une sonate pour deux violons sans basse et deux œuvres liées au genre de la suite française.


Si l’on connaît surtout Leclair pour ses douze concertos et quarante-neuf sonates à la virtuosité assez impressionnante, on oublie que le fondateur de l’école française de violon composait aussi pour des amateurs. Ainsi, après avoir publié ses deux premiers recueils de sonates avec basse continue dans les années 1720, c’est au duo de violons sans basse que Leclair consacra son opus 3. Notre compositeur suivait ainsi une mode née dans les premières années du siècle, d’associer deux instruments identiques, notamment les flûtes à bec ou traversières, mais aussi violes et violons. Le maître du genre en France était Bodin de Boismortier. Leclair publia deux recueils de ce genre, douze sonates au total, et c’est la dernière, en ré majeur, du premier livre que Simon Standage et Micaela Comberti (issue également de l’English Concert) nous donnent ici. Œuvre à l’italienne, donc, en quatre mouvements lent-vif-lent-vif, avec un premier Andante en doubles cordes, dont la riche harmonie est très prenante, un bel Allegro, un Largo fugué qui ne devait quand même pas être des plus aisés pour de simples amateurs, et une Musette faisant office de finale, là encore avec de nombreuses subtilités harmoniques. Standage et Comberti y sont parfaits techniquement et d’expression. Nous étions encore, en cette première moitié des années 90,  en un temps où les instrumentistes baroques ne se croyaient pas obligés de sur-jouer la moindre note, de multiplier les agréments au point de perdre la ligne de chant. Cela fait un sacré bien de revenir à quelques-uns des fondamentaux de cette musique, et notamment la pureté du chant.


Ces mêmes caractéristiques sont présentes dans les deux autres pièces qui encadrent la sonate, à savoir un opus 6 publié en 1736 sous l’appellation originale de « Première récréation de musique d’une exécution facile. » Cette dénomination étrange cache une très belle suite française, avec une magnifique ouverture et sa série de mouvements de danse (Leclair était aussi l’un des meilleurs danseurs de son temps). Successivement, un Gracieusement qui nous ramène chez Lully, une Forlane bondissante, des Menuets bien proches de Rameau, une noble Gavotte, d’espiègles Passepieds, une Sarabande bien grave et une entraînante Chaconne. Simon Standage et Micaela Comberti, ici parfaitement secondés par Jane Coe et Nicholas Parle, nous font promener dans cette « Récréation » dont on regrette qu’elle soit aussi peu donnée. Quant à l’exécution facile dont fait état le titre, il laisse songeur sur la qualité des amateurs auxquels Leclair s’adressait.

Pour compléter ce très beau disque, une autre Suite, de moindre ampleur. Ce Trio pour deux violons et basse ne fut publié qu’en 1766, soit deux ans après la mort par assassinat de Jean-Marie Leclair, par sa veuve qui tenait l’un des plus importants négoces de gravure de musique sur la place de Paris. Cet opus 14 posthume débute par une Ouverture à la française, donc aux rythmes pointés, mais dont certains accents (fin du Gravement, développement du Vivement) font déjà penser aux premiers opus haydniens. Le Légèrement qui suit nous ramène dans l’ambiance chorégraphique des grandes tragédies lyriques du temps, impression renforcée par les deux Airs qui auraient toute leur place dans certaines « Boréades ». Et la Chaconne finale nous maintient dans cette atmosphère proche de Rameau. 

Il reste juste à regretter que Simon Standage et ses complices du Collegium Musicum 90 n’aient poursuivis leur projet au-delà des disques enregistrés dans les années 90 pour nous laisser le corpus complet des œuvres instrumentales de Jean-Marie Leclair. Tous les disques enregistrés sont disponibles et, à l’instar de celui commenté ici, méritent de trouver une place de choix dans vos discothèques.



Jean-Marie Leclair (1697-1764) :

Première récréation de musique d’une exécution facile, en ré majeur,  opus 6

Sonate à deux violons sans basse, en ré majeur, opus 3 n°6

Trio pour deux violons et basse, en la majeur, opus 14


Collegium Musicum 90 :

Simon Standage, violon

Micaela Comberti, violon

Jane Coe, violoncelle

Nicholas Parle, clavecin


CD CHANDOS  - CHAN 0582

Enrégisté à Londres en octobre 1994



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