L'Autre Monde

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"De derrière les fagots" - Chronique des disques oubliés
par Philippe Houbert  - Novembre 2012

"Vous reprendrez bien un petit morceau de Lunaisiens ?"


En 2004, l’ensemble Les Lunaisiens, nouvellement formé, crée au festival Jean de La Fontaine de Château-Thierry, puis au festival baroque de Pontoise, un programme insolite autour d’œuvres d’un quasi inconnu, Jean-Baptiste Stuck. Né en 1680 à Livourne de parents autrichiens, on ne sait rien de la formation musicale de ce Stuck, qui, pourtant, le conduit à être reconnu rapidement comme un virtuose du violoncelle, l’amène à Naples au service de la comtesse de Lemos, puis participant à la réécriture d’un opéra d’Albinoni et, vers 1705, intégrant à Paris la maison du duc d’Orléans, futur Régent. Foyer de liberté artistique, à l’inverse d’une cour royale de plus en plus pétrifiée par la religion, la maison d’Orléans, sous l’égide de Charpentier, accueille de nombreux compositeurs italiens. C’est grâce à l’appui du duc que Stuck fera paraître, dès 1706, un premier livre de cantates, suivi par trois autres en 1708, 1711 et 1714. Il donnera aussi trois oeuvres à l’Opéra, intègrera la Chapelle du Roi vers 1722 et épousera la fille cadette du célèbre décorateur Jean Bérain, qu’il convient toujours d’associer au duo Lully-Quinault lorsqu’on parle du triomphe du genre de la tragédie lyrique.

Stuck fut sans doute l’un des plus parfaits exemples de cette fusion des styles français et italien que Couperin appellera « les goûts réunis ». Et c’est dans la forme de la cantate française que ce style, à côté des sonates instrumentales, connaîtra ses plus belles réussites. Ce sont trois de ces cantates (une issue de chacun des trois premiers Livres) que Jean-François Novelli et Arnaud Marzorati nous proposaient dans ce disque, avec, intercalées entre les cantates, deux sonates de compositeurs tout aussi peu connus et ayant également fait partie de la maison d’Orléans, Michele Mascitti et François Duval.
Dès la première cantate, l’Impatience, on est stupéfait par l’inventivité des récitatifs, avec la tombée du jour admirablement rendue par l’accompagnement aux deux violons et à la basse continue. Dans les œuvres suivantes, les instruments interviendront de façon plus opératique, annonçant un événement ou l’entrée d’un personnage. Les airs sont à l’italienne, donc des arias da capo. La première partie en est souvent développée, avec des ritournelles instrumentales, comme dans le premier air de Mars jaloux. Les vocalises trouvent aussi leur place, notamment dans le dernier duo d’Héraclite et Démocrite, œuvre que nous connaissions déjà dans un disque ancien de Marc Minkowski, et qui constitue une des rares exceptions dans l’œuvre de Stuck puisque deux voix y dialoguent, alors que le reste de sa production de cantates est exclusivement réservée à une voix soliste.

Ce que Novelli et Marzorati développent ici de qualités est incomparable : beauté des timbres, technique parfaite, expression mêlant tout ce que les tourments et les plaisirs de l’amour peuvent procurer. C’est un pur bonheur que d’entendre ces artistes, à l’époque au début d’une collaboration qui a continué à produire de beaux fruits. Pour les accompagner, les instrumentistes réunis, Stéphanie Paulet, Bérengère Maillard, Isabelle Saint-Yves et Bertrand Cuiller en tête, déploient de très belles ressources de virtuosité (l’écriture violonistique est très proche de celle de Corelli) mais aussi une sensibilité pré-ramiste, notamment dans le premier air d’Héraclite et Démocrite. Toutes qualités que nous retrouvons dans les deux sonates précitées, notamment dans la si corellienne œuvre de Mascitti.

Est il permis d’espérer que cette belle équipe reprendra, un jour, la découverte de ce monde musical à mi-chemin entre Lully et Rameau ?


Jean-Baptiste Stuck (1680-1755) : Cantates « L’Impatience », « Mars jaloux », « Héraclite et Démocrite »
Michele Mascitti (1664-1760) : Sonate XI pour deux violons et basse
François Duval (1662-1728) : Sonate « Héraclite et Démocrite »

Les Lunaisiens : Jean-François Novelli, taille ; Arnaud Marzorati, basse taille
Stéphanie Paulet et Bérengère Maillard, violons ; Benoît Toïgo et Marine Sablonnière, flûtes ; Isabelle Saint-Yves, violoncelle ; Bertrand Cuiller, clavecin

Enregistré en juin 2006 - CD Alpha 111

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