L'Autre Monde

Revenir à l'accueil

De derrière les fagots - Chronique de Philippe Houbert -  Juin 2012


Marco Uccellini : Œuvres pour violon

par  Hélène Schmitt, Markus Märkl, Karl-Ernst Schröde et Arno Jochem


Restons encore dans le domaine de la musique instrumentale ce mois-ci. Si les disques qu’Hélène Schmitt a enregistrés pour  Alpha sont, espérons le, bien connus des mélomanes (Bach, Schmelzer, Matteis, Carbonelli, Albertini), son tout premier enregistrement réalisé en 1999 pour le très intéressant label allemand Christophorus mérite un nouveau coup d’éclairage. La reine du violon baroque nous invite à la découverte d’un parfait inconnu, Marco Uccellini. Né en 1603, ce dernier fit principalement carrière à Modène, ville martyre du  très récent tremblement de terre. Tout à la fois violoniste, compositeur, chanteur et ecclésiastique, notre homme ne réussit jamais à devenir maître de chapelle des ducs d’Este durant la période de vingt-quatre années (de 1641 à 1665) qu’il passa à leur service. Il n’obtint un tel poste qu’en passant à Parme, à la cour des Farnese. Mais on sait que l’époque, quand elle n’offrait pas le succès à la cour, pouvait s’avérer plus généreuse à l’Eglise ; c’est ainsi qu’Uccellini parvint au poste de maître de chapelle de la cathédrale de Modène.Uccellini s’inscrit dans la lignée des compositeurs italiens qui, tout au long du dix-septième siècle, construiront les lettres de noblesse de la musique instrumentale, notamment pour violon : Carlo Farina, Giovanni Battista Buonamente (sans doute le maître d’Uccellini), Dario Castello, Biaggio Marini. Le disque nous propose une série d’œuvres pour violon seul et basse continue extraites des opus 3, 4, 5 et 7, édités respectivement en 1642, 1645, 1649 et 1660. On sait que, en ce temps, le terme de « Sonata » n’est guère défini et qu’il ne sert, le plus souvent, qu’à identifier de la musique instrumentale. Mais Uccellini va être l’un des premiers à bousculer les caractéristiques communes aux Sonates de l’époque, en amplifiant la forme, notamment par l’emploi de variations et de séquences à partir d’un nombre limité de motifs. Naît de cette technique de composition l’impression d’une grande homogénéité, trait encore renforcé par la réutilisation de certains motifs au sein des sonates d’un même corpus.

Uccellini pousse aussi la virtuosité de l’instrument, élargissant ainsi l’ambitus du violon jusqu’à la sixième position, dans son opus 5. Quelques œuvres, telle la Toccata de l’opus 7 qui ouvre le disque, sont écrites pour deux dessus en canon mais le compositeur offre la possibilité de jouer les deux parties sur un seul instrument. Hélène Schmitt saisit l’occasion de démontrer une insolente capacité à se jouer des passages à doubles cordes fuguées. Virtuosité qui n’étonnera plus celles et ceux qui ont déjà connaissance des disques cités plus haut ou eu l’immense chance d’entendre la violoniste en concert. Comme d’habitude avec elle, les difficultés techniques ne sont jamais surmontées comme une fin en soi ou l’occasion de produire quelques étincelles destinées à éblouir le public. En bonne élève de Chiara Banchini, la virtuosité est un élément du style, du discours, de ce que nous appellerions aujourd’hui, faute de mieux, de la musicalité.
Comme chez nombre de compositeurs de musique instrumentale de l’époque, la basse continue n’est pas expressément identifiée. Ici, le choix opéré par Markus Märkl (clavecin ou orgue), Karl-Ernst Scröder (théorbe ou guitare) et Arno Jochem (violone) est plus que convaincant et se marie parfaitement au Camillo Camilli d’Hélène Schmitt. Il serait dommage de prendre connaissance de ce disque en laissant parler sa boulimie musicale. De telles merveilles (ici quinze pièces différentes) se savourent, une par une ou en les mariant par opus. Mais, quelle que soit l’approche choisie, vous sortirez convaincus qu’Uccellini est bien, parmi les Cazzati, Bononcini ou Vitali, le précurseur de Schmelzer et Biber.



Marco Uccellini (1603-1680) : Œuvres pour violon et basse continue
Hélène Schmitt, violon ; Markus Märkl, clavecin et orgue ; Karl-Ernst Schröder, théorbe et guitare ; Arno Jochem, violone Christophorus 77315
Ecouter des extraits du disque sur Qobuz.Com


Retrouvez les précédentes chroniques de Philippe Houbert :

De derrière les fagots, Chronique #2

De derrière les fagots, Chronique #1"