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De derrière les fagots - Chronique de Philippe Houbert

Jan Dismas Zelenka 6 Sonates à deux hautbois et basson (Accent 30048)


Il en est de la discographie de Jan Dismas Zelenka comme de l’évolution de la diffusion de la musique baroque depuis une quarantaine d’années. Le vocal, profane ou sacré (très majoritairement sacré chez Zelenka) balaie tout sur son passage, jusqu’au souvenir de la partie instrumentale ou chambriste des catalogues. On ne se plaindra certes pas de découvrir maints oratorios et messes du compositeur de Bohême, mais sera-ce sacrilège que de reconnaître qu’aucune de ces œuvres n’est encore parvenue à nous émouvoir comme peut le faire l’écoute d’une grande version des Sonates en trio ?


L’histoire de ces œuvres, uniques dans la production zelenkienne, reste énigmatique. Conservées en manuscrits partiellement autographes à Dresde (ville où il travailla de 1710 à 1745), ces Sonates ne furent redécouvertes par le musicologue Camillo Schoenbaum que dans les années 1950 et 1960. Leur composition daterait de 1715-1716 et s’inscrirait autour d’un séjour à Vienne où Zelenka aurait étudié auprès de Johann Joseph Fux. Sont-ce ces leçons qui transformèrent le talent en génie contrapuntique ? Toujours est-il que ce recueil est l’un des plus beaux que l’ère baroque ait produit en musique de chambre.


Le titre original en est « Sonate a due Hautbois e basson con due bassi obligati ». Les deux hautbois, dont l’un peut être remplacé par un violon, constituent la voix supérieure. La partie concertante de basse est tenue par le basson (pouvant être remplacé par un violoncelle), violoncelle (ou contrebasse) et clavecin assurant le continuo. Comme les moins jeunes d’entre nous apprirent leurs concertos de Vivaldi avec I Musici et I Solisti Veneti, leurs Passions de Bach avec Karl Richter, Karl Münchinger, voire Eugen Jochum, nous découvrîmes ces Sonates en trio de Zelenka par la version, signée en 1973, par de remarquables solistes (Heinz Holliger, Maurice Bourgue et Klaus Thunemann) sur instruments modernes, mais dont l’expressivité et la virtuosité extraordinaires sont ruinées par des phrasés désuets et un continuo lourd et métronomique. Quelques années auparavant, les musiciens du Concentus Musicus de Vienne avaient inclus la deuxième sonate dans un disque instrumental hétéroclite. Depuis, curieusement (honteusement, devrions-nous dire, tant le recueil mérite plus et mieux), pas grand’ chose à se mettre sous la dent. Seule la version de l’ensemble Zefiro aurait pu tenir la rampe mais la disponibilité cahotique du catalogue Astrée nous empêche d’en parler aujourd’hui. Heureusement, en 1983 et 1988 (dieu qu’on savait encore prendre son temps, à l’époque !), les hautboïstes Paul Dombrecht (fondateur ensuite de l’ensemble Il Fondamento),  Marcel Ponseele (pour les sonates 1, 2 et 6) et Ku Ebbinge (pour les 4 et 5), Danny Bond au basson, la grande Chiara Banchini au violon, Richte Van der Meer au violoncelle et Robert Kohnen au clavecin, donnaient une version miraculeuse de lyrisme, de couleur instrumentale, de lisibilité contrapuntique et d’intensité expressive. 


La première sonate, en fa majeur, est une merveille de contrepoint allant d’un lyrisme proche des cantates et passions de Bach au rebond permanent des second et quatrième mouvements. La deuxième sonate,  en sol mineur, est l’un des joyaux de ce double album, d’un Andante initial admirable de chant et aux étranges harmonies, au petit bijou que constitue l’Allegro final au rythme pointé et où le basson de Danny Bond fait merveille, sans oublier l’élégie bouleversante du troisième mouvement. La troisième sonate laisse le violon remplacer l’un des deux hautbois. L’immense Chiara Banchini  fait de cette sonate un chef d’œuvre de chant et de contrepoint qui aurait tout à fait sa place dans le catalogue de Bach. Mais ce dernier est encore plus présent dans la quatrième sonate en sol mineur, avec les harmonies étranges de l’Andante initial,  la déploration de l’Adagio, pour se terminer par un Allegro ma non troppo que l’on aimerait appeler « contrepoint, mon amour ». La cinquième sonate est la seule en trois mouvements, la plus vivaldienne aussi. Le basson royal de Danny Bond y joue un rôle majeur. Quant à la dernière, en ut mineur, Dombrecht et Ponseele en font un joyau contrapuntique et lyrique digne de Bach.


Ces deux disques, opportunément réunis par Accent en un album de deux disques, constituent sans aucun doute l’un des joyaux les plus méconnus que toute discothèque baroque devrait posséder. A leur écoute, on comprend mieux l’admiration que vouaient Bach et Telemann à leur contemporain bohême de Dresde.


Jan Dismas Zelenka (1679-1745) : 6 Sonates à deux hautbois et basson
Paul Dombrecht (sonates 1 à 6), Marcel Ponseele (sonates 1, 2 et 6), Ku Ebbinge (sonates 4 et 5), hautbois ; Danny Bond, basson ; Chiara Banchini, violon ; Richte van der Meer, violoncelle ; Robert Kohnen, clavecin
Accent (2 CD) 30048

Paru le 1er janvier 1982


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